Le ciel avait l’air bizarre ce soir-là. Un calme extraordinaire, un silence profond et un orange bizarre t’enveloppent dès que tu lèves tes yeux. Les arbres plus vieux et plus grands que les autres sentaient que quelque chose allait se passer. Quelque chose qu’ils n’avaient jamais vu auparavant. Ou peut-être l’avaient-ils vu, mais ils ne s’en souvenaient certainement pas.
Les chiens n’aboyaient pas et les feuilles ne bougeaient pas. Seules les fourmis semblaient agitées. Elles se comportaient comme des insomniaques qui tournaient nerveusement leur oreiller d’un côté à l’autre. Les arbres sentaient que quelque chose de mauvais flottait dans l’air de l’été, mais ils ne savaient pas à quoi s’attendre.

Cela faisait deux jours que le ciel ressemblait à un abricot. C’était presque le milieu du mois de juillet, les arbres faisaient encore des plans pour que le mauvais temps ne dure pas longtemps et que la forêt soit remplie de randonneurs assoiffés de verdure. Ils étaient pleins d’espoir d’entendre à nouveau la pure joie des enfants. Cela ressemblait à une journée triviale au milieu de la semaine. Les gouttes de pluie froide tombaient chaotiquement. Les arbres n’avaient pas peur. Pas du tout. Parce qu’ils ne vivaient pas dans le présent. Ils se sont souvenus de l’été 2020 lorsque les gens ont de nouveau voyagé. Ils ont fait une randonnée dans les bois. Et ils leur ont rendu visite. Sur les sapins droits et sur les chênes têtus. Au souvenir de ces instants, ils riaient en se tenant aux branches du tronc. Ils ont refusé de sentir les éclaboussures qui continuaient à tomber en quantités inhabituellement importantes. Tout ce qu’ils pensaient, c’était que cette pluie d’été passerait et qu’ils entendraient à nouveau les voix fines et douces des petits randonneurs. Comme ils le demandent à leurs parents chaque fois qu’ils voient un essaim, un tronc tombé ou une feuille d’un vert plus particulier. Alors qu’ils dressaient l’oreille, tout ce qu’ils pouvaient voir était un bébé cerf, un blaireau ou peut-être même un renard. Comme ils admirent curieux et effrayés à la fois les termites. La pluie, cependant, ne montrait aucun signe d’arrêt et les gouttes devenaient de plus en plus grandes.
Soudain, réveillés comme d’un beau rêve d’été, tous les arbres entendirent la voix du plus ancien d’entre eux: un chêne séculaire qui en avait beaucoup vu et en savait encore plus. Et il cria d’une voix forte dans toute la forêt:
– Attention, l’eau arrive! Étirez les branches et tenez-vous fermement les uns aux autres. Ne lâchez rien. Ce n’est qu’ensemble que nous réussirons. Ensemble, nous serons toujours forts!
– Fort, fort… résonnait du fond de la forêt sur les villages, les communes, les villes.
– Restons unis! Des sapins plus petits criaient aussi, les yeux fixés sur le flot devant eux. C’est ce qu’ils avaient entendu de leurs parents et comment ils avaient été éduqués: que l’unité est la chose la plus importante.
Dans les bois, dans les plaines et dans les prairies où paissent vaches, moutons et chevaux dans le silence du temps, qui semble avoir oublié de s’écouler, maintenant l’eau coulait. Les rivières sortaient de leurs entrailles et balayaient tout sur leur passage: dans les maisons l’eau entrait nerveusement, les voitures montaient à l’étage, les gens regardaient impuissants les objets de valeur flotter autour d’eux. Les souvenirs se sont noyés en un instant. Ici une paire de chaussures de cuir rouge qu’ils ont été achetées l’été dernier, la il y a une photo de l’époque où le petit de la famille était bébé, au-delà un livre… avec la bibliothèque. Mais l’eau boueuse et froide était indifférente. Elle n’était pas intéressée par les objets de valeur. D’autant moins qu’il se fichait des choses qui avaient une valeur sentimentale, impossible à quantifier en argent. La pluie de ce jour-là n’a pas donné de gouttes sur la photo de quand la grand-mère était fille, sur le pull en laine mérinos tricoté par la mère enceinte avec son quatrième enfant ou sur la maison de poupée construite par son grand-père.
Les arbres, de leur hauteur, voyaient tout ce désastre. Toutes ces choses, selon leur poids, flottaient ou coulaient complètement. Ils ressemblaient à une pile de jouets de 4 ans jetés de manière chaotique dans la baignoire le soir. Mais à plus grande échelle. Beaucoup plus grand. La nature s’était déchaînée et avait transformé le mois Juillet en mois de Noé.
-„Tenez-vous bien les uns aux autres!” Ne lâchez rien, les arbres n’arrêtaient pas de crier de toutes leurs racines. Le danger n’est pas encore écarté!
– La vague ne peut pas m’emporter, ne t’inquiète pas tant! répondit un jeune arbre.
- Jeune homme, crois-moi, je n’ai pas vu une telle eau dans notre région depuis des décennies, tu n’as aucun moyen de le savoir.
- Accroche-toi, un vieux sapin a tenté de le réprimander!
Le jeune arbre ne voulait même pas l’écouter. Il se révolta contre le vieil arbre sage, se détacha de son père et se mit à rire en tapotant ses branches dans l’eau qui descendait nerveusement la vallée. Puis il saisit le pont solide, en se moquant de ses frères et en leur disant qu’il sont pleurnicheurs collées à la jupe de leur mère. En vain ses parents tentèrent-ils de le persuader de s’accrocher à leurs branches qu’en un instant le pont fut rompu et coulé. Le jeune arbre rebelle a également été coupé en deux et emporté par l’eau.
- Quand cela se finira-t-il? Ils ont demandé explications, en pleurant, les plus petits arbres accrochés à leurs mères. Après, ils ont regardé le ciel et ont prié Dieu pour arrêter la pluie. Leurs papas essayaient de les rassurer et de les encourager.
- Rien ne dure éternellement! Leurs mères les ont également encouragés en murmurant de ferventes prières au Ciel. Le soir, avec d’énormes éclaboussures, des ponts tomberaient, des voies ferrées se briseraient, l’eau balayerait des maisons et détruirait des voitures sur son passage, et, malheureusement, elle emporterait des vies humaines avec elle. Les arbres, témoins tristes et silencieux, entendaient et voyaient tout. Tout le désastre.
Lorsque la pluie a finalement cessé, les gens ont commencé à faire le point et à appeler leurs amis. Les arbres aussi se sont calmés. Les grands-parents se souvenaient que ce n’était que pendant leur enfance qu’il y avait eu de si grandes inondations. Le soir, les nouvelles montraient aussi l’image de tout ce qui s’était passé.
Dans les jours suivants, les autorités secoururent les victimes et recherchirent les disparus. Les arbres se sentaient anxieux après de nombreuses années. Ils se sentaient seuls et impuissants.
Mais l’espoir n’est pas mort. Qu’à l’avenir, un jour, ils recevront à nouveau des visiteurs, que les chemins forestiers résonneront à nouveau des voix cristallines des enfants et qu’ils entendront à nouveau les secrets les plus importants et les plus cachés des gens. Des secrets dont la confidentialité sera gardée à jamais. Voyageurs à travers la vie, les gens, reviendront se reposer sur un tronc tombé, étranglé par une liane. Et ils lui diront leur peine. Ces non-dits au monde. Une douleur qui ne peut être partagée qu’avec les arbres car ils ont tout le temps du monde pour écouter. Ils ne sont pas comme la majorité des gens qui entendent, mais n’écoutent pas, s’excusant toujours de ne pas avoir le temps, toujours pressés et étouffés par les soucis. Eux, les arbres, sont ouverts d’esprit et toujours chaleureux.
Les inondations de juillet et d’août et les températures anormalement basses avec les pluies abondantes ont transmis un état d’anxiété. Les chemins forestiers sont restés humides et difficiles à franchir pour les touristes et les locaux avides et amoureux du vert. Rares sont ceux qui se sont aventurés dans les flaques d’eau et la boue au fond des bois. Le soleil aussi était cher à regarder, comme s’il avait été kidnappé, retenu en otage quelque part. Les vieux arbres n’ont pas perdu l’espoir que les beaux jours reviendront quand la terre ne mordra plus l’eau, et que le soleil et le vent chaud feront équipe pour la sécher.
Sapins, chênes et tous leurs autres frères attendent avec les branches ouvertes pour un automne plus doux, avec de nombreux convives. Pour les accueillir avec les parfums des pommes de pin, avec des fleurs qui portent fièrement des broches avec des papillons, avec le bourdonnement des abeilles et des rivières cristallines qui coulent sans hâte. Même si leurs invités, les peuples, ne viennent jamais vêtus de costumes, d’escarpins et de sacs à main en satin ou en velours, mais en chaussures de randonnée, vestes et pantalons imperméables aux multiples poches, quand leurs pas se font entendre sur les feuilles fraîchement tombées dans la forêt c’est la plus grande fête. Une fête où l’homme est face à face avec la nature. La relation entre les deux trahit la paix et la tranquillité que seul le bébé ressent dans le sein de sa mère.
Cependant, les plus jeunes des sapins, ceux qui aimaient la pluie car ils savaient par leurs parents que la pluie les aidait à grandir, ont maintenant peur de la rosée du matin. Ils sont devenus plus timides qu’ils ne l’étaient. L’anxiété les submerge dans les jours quand dans le ciel il y a des nuages gris foncé. Il faudra du temps avant qu’ils reprennent confiance et ne voient plus la pluie comme un ennemi. D’ici là, ils sont attentifs et curieux, comme tous les enfants, pour voir et comprendre les signes des temps. Cet été spécial ils ont appris à profiter de chaque jour car demain ils ne savent pas ce qu’il va les attendre (arriver). Et ils ont appris à ne pas perdre espoir d’être à nouveau visités par les nombreux touristes auxquels ils sont habitués et qui ont tant manqué cette année. Et c’est comme si, de quelque part près, sans savoir exactement d’où, ils entendent des randonneurs avides de silence toujours vert:
„Même si vous nous avez manqué cet été, on ne vous avez pas oublié et nous portons nos souvenirs avec vous jusqu’aux prochains beaux jours, où nous nous reverrons. Alors nous apprécierons encore plus que nous sommes ensemble…”.
Note: L’article „L’anxiété des arbres”, signé par Florina Turuga, a apparu en langue roumaine dans la magazine roumaine Itaca, numéro 35.
Source photo : archives personnelles